Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, en août 1914, Marcel Bloch a 22 ans. Du fait de sa formation d’ingénieur aéronautique, rare à l’époque, il n’est pas envoyé au front mais est versé au Laboratoire de recherches aéronautiques de Chalais-Meudon et fait ainsi ses premières armes au cœur d’une industrie qui passe de l’artisanat à la production en série.
Avec Henry Potez, également ancien élève de l’Ecole supérieure d’aéronautique et de construction mécanique, il est chargé de coordonner l’élaboration des plans du Caudron G 3 dont la fabrication est répartie entre quatre usines appartenant à différents avionneurs.
Constatant que les hélices existantes n’offrent que de médiocres performances, il décide, en 1916, d’en dessiner une.
Cette hélice, appelée « Éclair », satisfait aux tests officiels. L’Armée commande une première série de 50 exemplaires qui sont construits chez un fabricant de meubles du faubourg Saint-Antoine à Paris.
Marcel Bloch convainc Henry Potez de venir le rejoindre. Ils fondent alors la Société des Hélices Éclair dont ils deviennent les directeurs techniques.
L’hélice Éclair équipe de nombreux appareils français et, en particulier, le Spad VII de l’as Georges Guynemer. En 1917, l’Inspection du matériel la classe parmi les trois meilleures sur 253. Marcel Bloch entre dans la légende de l’aviation.
Mais fabriquer des hélices ne suffit pas à occuper les deux ingénieurs. Ils entreprennent de construire un avion et, en 1917, ils créent, avec un ami, la Société d’Etudes Aéronautiques (SEA).
Avec l’aide d’un camarade de promotion de Marcel Bloch, Louis Coroller, ils dessinent le monomoteur SEA 1 (avion d’observation) équipé d’un moteur de 120 cv qui s’avère rapidement inadapté à l’utilisation envisagée. Si le moteur manque de puissance, la cellule s’avère convenable.
Les trois amis dessinent alors le SEA 2 (monomoteur, biplace de reconnaissance et de chasse) et le SEA 3 (trimoteur, triplace de reconnaissance) mais, faute de moteurs d’une puissance suffisante, ces avions ne sont pas fabriqués.
L’apparition du moteur Lorraine de 370 cv leur permet enfin de réaliser le SEA 4 (biplace de combat) qui effectue son premier vol probablement fin 1917.
L’appareil est commandé par le ministère de l’Armement et des Fabrications de guerre à 1 000 exemplaires. Pour honorer le contrat, une nouvelle société, Anjou Aéronautique, est créée à Angers en août 1918.
Le premier modèle de série sort d’usine le… 11 novembre 1918. Depuis l’aube, les canons se sont tus sur le champ de bataille, la guerre est finie. L’aéronautique militaire est réduite à un format de paix, le marché de 1 000 avions est résilié, seule une centaine d’appareils en cours de fabrication est livrée.
Devant l’importance des stocks à écouler, le Service des Fabrications de l’aviation n’incite pas les constructeurs à rester dans l’aéronautique. Marcel Bloch se retire et se lance dans l’immobilier.
La création du ministère de l’Air en 1928 ramène Marcel Bloch vers l’aviation. Le directeur général technique et industriel du ministère, Albert Caquot, lui passe commande d’un prototype pour un programme de trimoteurs postaux.
Pour fabriquer son avion, Marcel Bloch crée la Société des Avions Marcel Bloch et recrute de jeunes ingénieurs.
A la fin de 1931, c’est le succès : les services officiels commandent le MB 80, avion sanitaire monomoteur, et le MB 120 trimoteur de transport colonial pour 10 passagers.
Marcel Bloch regroupe ses services d’études et de fabrication et les installe à Boulogne dans un garage désaffecté. En septembre 1932, pour construire ses avions et de nouveaux prototypes, il loue un local plus grand à Courbevoie, quai Paul Doumer.
Les prototypes d’avions civils (MB 220) et d’avions militaires se succèdent alors à un rythme accéléré.
En 1934, Marcel Bloch comprend que l’aéronautique française va traverser une crise. Prévoyant la carence des moyens de production, il s’entend avec Henry Potez, alors le plus important industriel aéronautique.
En janvier 1935, ils rachètent la Société Aérienne Bordelaise (SAB) qui devient la Société Aéronautique du Sud-Ouest (SASO) où sont produits des bombardiers MB 200 et MB 210. Ils se regroupent également pour racheter la majorité des actions de la Société des Moteurs et Automobiles Lorraine (SMAL).
Alors que le climat social s’alourdit en France, Marcel Bloch négocie avec les syndicats et concède une semaine de congés payés dès 1935. Quand, l’année suivante, le gouvernement du Front Populaire décide d’accorder quinze jours de congés payés, Marcel Bloch accorde trois semaines à son personnel.
En octobre 1930, Henri Déplante (futur directeur général technique) entre au bureau d’études de la Société des Avions Marcel Bloch :
« Bien rares sont ceux qui maintenant, parmi nous, connurent ces petits ateliers poussiéreux dans lesquels virent le jour nos premières carcasses de duralumin, voire même de magnésium.
Nos dessins « mi-devinettes, mi-rébus » faisaient la joie d’un atelier qui se montrait toujours plein d’indulgence pour les trois pauvres lascars du bureau d’études. Ils se partageaient en effet dessins et calculs de deux avions menés de pair : un trimoteur colonial et un monomoteur Sanitaire« .
Conformément à son programme électoral, le gouvernement du Front populaire fait adopter à la Chambre des députés, le 17 juillet 1936, une loi de nationalisation de l’industrie d’armement. L’industrie aéronautique est directement concernée. La nationalisation d’une grande partie du secteur des cellules entraîne la création de six sociétés nationales de constructions aéronautiques.
Le 16 janvier 1937, la société des Avions Marcel Bloch est intégralement nationalisée, ses usines (Courbevoie, Châteauroux-Déols, Villacoublay, Bordeaux) servent à constituer l’essentiel de la Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Ouest (SNCASO).
Comme le ministre de l’Air, Pierre Cot, ne dispose pas de cadres assez qualifiés pour la diriger, il demande à Marcel Bloch d’en être l’administrateur délégué.
Bien que ses usines aient été expropriées, Marcel Bloch conserve la libre disposition de son bureau et de son atelier d’études. Il regroupe ses moyens en créant, le 12 décembre 1936, à Courbevoie, la Société Anonyme des Avions Marcel Bloch (SAAMB). Cette société peut réaliser et mettre au point des prototypes qui sont fabriqués en série par les seules sociétés nationales. Indépendance de courte durée puisque le 17 février 1937, par avenant à la convention du 16 janvier, le ministère de l’Air obtient l’intégration du bureau d’études libres de la SAAMB à la SNCASO.
Devant la dégradation de la situation européenne, l’État se lance en 1937 dans une politique de réarmement. Il devient urgent de fabriquer de nouveaux appareils pour contrer la puissante Luftwaffe que crée Adolf Hitler. La SNCASO relève le défi du réarmement et produit les avions de chasse monomoteurs de la série MB 150 puis un bombardier bimoteur MB 170et ses dérivés, ainsi qu’un quadrimoteur de transport civil, MB 161.
Marcel Bloch et Henry Potez achètent un immeuble avenue Kléber à Paris où ils installent leurs bureaux. Puis, Marcel Bloch acquiert des terrains à Saint-Cloud sur lesquels, en 1938, il entreprend de construire une nouvelle usine. A défaut d’avions, il y construit des hélices Chauvière qui équipent les appareils de combat fabriqués par les sociétés nationales ainsi que des petits moteurs pour avions de tourisme.
Pour répondre à l’augmentation de la production, la SAAMB acquiert, en septembre 1939, à Talence, près de Bordeaux, des bâtiments à usage industriel qu’elle rétrocède à la société Bordeaux-Aéronautique, constituée en octobre 1939. De tous les futurs belligérants de 1940, c’est la France qui fournit l’effort de réarmement le plus important.
Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. L’effort industriel aéronautique devient prioritaire, les avions sont enfin commandés en grande quantité mais trop tard. Pendant la « drôle de guerre », Marcel Bloch accélère les fabrications et améliore les performances de ses prototypes. Mais le 15 février 1940, après un différend avec le ministère de l’Air, il quitte la SNCASO.
Après l’Armistice de juin 1940, le Reich victorieux n’épargne pas l’aéronautique française. Les matériels, les stocks, les établissements industriels doivent être livrés intacts à l’Allemagne. L’aéronautique française est presque totalement dissoute et les fabrications sont arrêtées. Victime d’une violente campagne de dénigrement, Marcel Bloch est arrêté par le gouvernement de Vichy le 5 octobre 1940, étant considéré comme » individu dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique « .
Malgré son internement, il se tient informé de l’évolution aéronautique. Dans sa prison, il constate tout l’intérêt que les Allemands accordent à ses appareils, particulièrement le bimoteur MB 175 dont ils veulent faire construire 200 exemplaires par la SNCASO ainsi que le quadrimoteur de transport civil MB 161, le plus gros avion commercial français de l’époque, pour équiper la Lufthansa.
L’occupant cherche à obtenir sa collaboration, il refuse systématiquement prenant argument de sa mauvaise santé. Afin de soustraire un maximum de moyens industriels aux Allemands, il délègue tous ses pouvoirs, par lettre, le 20 décembre 1940, à Henri Carol (directeur de l’usine de Saint-Cloud) qui doit assurer les fonctions de directeur général de la Société en zone occupée.
Les collaborateurs de Marcel Bloch, en son absence, prennent des mesures conservatoires pour sauvegarder les intérêts de la Société anonyme des Avions Marcel Bloch. Une assemblée générale extraordinaire est réunie le 31 décembre 1940 afin de désigner un nouveau responsable. Conformément aux statuts, un conseil d’administration est désigné. Marcel Bloch est nommé président, Auguste Le Révérend et Georges Hennequin sont administrateurs. L’assemblée générale extraordinaire décide également de transférer le siège social de Saint-Cloud à Thiers.
Les Allemands réquisitionnent le potentiel de l’usine de Saint-Cloud à leur profit et placent les fabrications sous le contrôle de la société Junkers. Afin de sauvegarder l’usine, les collaborateurs de Marcel Bloch, en accord avec lui, créent, en avril 1941, la Société anonyme de constructions aéronautiques et mécaniques (SACAM) qui exploite à bail l’usine de Saint-Cloud à partir du 1er mai 1941.
A Talence, où Bordeaux-Aéronautique est tenu de travailler pour l’occupant, André Curvale (chef pilote) et Paul Déplante (directeur technique) essaient de conserver intact le potentiel humain et matériel.
En mars 1941, le Service technique aéronautique décide de regrouper les différents bureaux d’études des sociétés nationales et de les intégrer au sein de la SNCASO à Cannes, alors en zone d’occupation italienne, où les ingénieurs de Marcel Bloch peuvent travailler sur des projets d’avions. Le 16 août 1941, les autorités d’occupation nomment un administrateur provisoire des entreprises Marcel Bloch pour la zone occupée tandis que le Commissariat aux Questions Juives en nomme un pour la zone libre. Auguste Le Révérend et Henri Carol essaient alors de préserver un maximum de biens en achetant en 1942, en accord avec Marcel Bloch, un ancien atelier de carrosserie à Boulogne où sont réalisées des pales d’hélices.
A Cannes, le Groupe technique est de plus en plus inquiet de l’évolution de la situation. Henri Déplante obtient de rendre visite à son ancien patron qui, toujours optimiste, garde l’espoir d’un monde meilleur. Il lui recommande de réunir un maximum d’ingénieurs aéronautiques et de les diriger vers la Grande-Bretagne ou les États-Unis pour constituer le noyau de la reconstruction de l’aéronautique française d’après-guerre.
Mais, l’avenir s’assombrit. Après l’invasion de la zone libre, en novembre 1942, Henri Déplante et Bention Grebelsky décident de quitter la France par l’Espagne. Après de nombreuses difficultés, ils rejoignent la Grande-Bretagne et s’engagent dans une unité combattante de parachutistes du Special Air Service (SAS). En octobre 1943, Xavier d’Iribarne rejoint Alger puis la 1ère Division blindée.
En 1944, Marcel Bloch est déporté à Buchenwald comme otage politique. Au cours de sa détention, les Allemands lui demandent, en échange de sa liberté, de travailler pour eux comme directeur d’une usine Focke-Wulf dans le Hanovre. Une fois encore, malgré sa santé fragile, il refuse et manque d’être pendu. Pendant cette période, il se tient informé de l’évolution aéronautique et fait parvenir des messages à sa famille et à ses collaborateurs. Il parvient à faire passer une lettre destinée à l’Association des anciens élèves de Sup’Aéro dont il est le président :
« Mes chers camarades, si l’heure est difficile, ne désespérez pas de l’avenir. »
« Après cette guerre où les bateaux, le matériel roulant, les avions commerciaux auront été anéantis, l’aviation commerciale connaîtra un essor inouï car elle remplacera la plupart des moyens de transport. »
« Nul doute que le gouvernement de l’État français, dans une Europe reconstruite, saura conserver à notre pays, la part de production aéronautique qui revient à notre technique et à notre position géographique dans le monde ».
Le 11 avril 1945, le camp de Buchenwald est libéré, Marcel Bloch et ses camarades de déportation survivants sont libres.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les moyens industriels aéronautiques français sont considérablement réduits, le parc de machines-outils a vieilli ou est détruit, les équipes des bureaux d’études sont dispersées, seuls les personnels des usines sont en surnombre. Les sociétés nationales subsistent tandis que le secteur privé essaie de renaître.
Le 17 juillet 1940, aux termes de la convention d’armistice, une commission allemande, dirigée par Kurt Tank, directeur technique de Focke-Wulf, se présente à Mérignac. Au cours de son séjour d’évaluation, elle teste le MB 175 dont elle remarque les qualités. Henri Déplante est surpris: « C’est la première fois qu’on s’est fait féliciter ! Les Allemands ont su apprécier l’effort considérable que notre personnel a fourni ! »
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